UN CONSEIL DE CLASSE

 

Patrick ROBO

Janvier 1980

in ARTISANS PEDAGOGIQUES n°3

site : http://probo.free.fr/

courriel : patrick.robo@laposte.net

 

 

 

Dans ma classe de perfectionnement, deux fois par semaine est institué un conseil de classe, volontairement limité à une heure. Un élève est président à tour de rôle ; je suis secrétaire de séance et note pratiquement tout ce qui se dit sur le "cahier du conseil". Des règles de fonctionnement et des maîtres-mots ont été instaurés. Le conseil est la clé de voûte de l'organsiation de la classe.

 

Tous les Conseils se déroulent suivant le même rituel, mais ils sont tous différents et plus ou moins constructifs.

Voici par exemple d'après mes notes comment s'est déroulé l'un d'eux, le 25 janvier 1980.

 

Absents  : deux élèves. Président  : Thomas (11 ans).

 

Président : Le Conseil commence. Du silence. Aujourd'hui, nous commencerons pas les PROPOSITIONS. Qui veut en faire ? (il note leurs noms). Ensuite, qui voudra faire des CRITIQUES ? (il note aussi leurs noms - il donnera la parole aux inscrits et à ceux qui la demanderont, le maître y compris)

Malika : Il faudrait ranger la bibliothèque.

Président : Mustafa, tu es responsable de la bibliothèque, tu le feras.

Corinne : Il faut... ranger... les annuaires.

Président : Le responsable du rangement va le faire ce soir.

Serge : Mustafa veut changer de place avec moi.

Président : C'est le problème de Mustafa. Il n'aura qu'à le dire. On passe. Mohamed, une gêne. (Mohamed parlait à son voisin. Au bout de 3 gênes, on est exclu du Conseil en cours)

Nadine : Il faudrait afficher les photos que le maître nous a fait.

Le maître : Nous le ferons après le Conseil.

Didier : Pour le carnaval, on pourrait faire une pièce en classe et se déguiser.

Président : Maurice, une gêne. (Il a parlé sans demander la parole).

Le maître : Je ne sais pas si on aura le temps.

Didier : On se débrouillera tout seuls.

Nadine : Je suis d'accord avec lui, on n'a qu'à voter.

Président : Qui est d'accord pour qu'on fasse une pièce seuls ? (10 pour) Qui est contre ? (2) (je m'abstiens)

Donc, on fera la pièce. Mohamed, une gêne. (il est agité et ne fait que rire fort)

Philippe : Il faudrait que Dominique travaille comme tout le monde. Aujourd'hui, elle n'a fait que lire un livre.

Président : Qu'est-ce que tu proposes ? - Rien - On le marque sur le cahier. Mohamed, une gêne ; ça en fait trois, va à ton bureau. (il se lève en colère et va s'asseoir à sa place où il lira une BTJ). On passe. Maurice, tu as la parole.

Maurice : Il faudrait qu'on recopie tous l'emploi du temps sur une feuille.

Président : Qui est d'accord ? - Personne. Tu n'as qu'à le copier pour toi.

Maurice : Il faudrait un responsable qui marque sur un tableau tous ceux qui font des textes libres. (la majorité est d'accord)

Président : Qui veut en être responsable ? (Maurice, seul volontaire, sera élu)

Le maître : Maurice, je te donnerai une feuille pour faire ce tableau.

Président : Je propose que le maître fasse au duplicateur les programmes des ceintures en sport et qu'on les mette dans nos classeurs. (la majorité approuve)

Le maître : D'accord, je vais essayer de le faire.

Président : Je propose qu'on fasse en maths des fiches comme on avait fait une fois. (il explique. Il s'agit des cahiers de Techniques Opératoires. Tous sont d'accord)

Le maître : On en fera dans les plans de travail.

Président : On passe aux CRITIQUES. Philippe, tu as la parole.

Philippe : Didier, Maurice et Corinne s'amusent quand on monte en classe.

Président : Qui est témoin ? - 7 témoins - On leur marque un avertissement. (il y a une loi qui dit que l'on ne doit pas s'amuser dans les couloirs. Au bout de 3 avertissements semblables, le Conseil décide de la sanction à donner, différente suivant les cas)

Jean-Marie : Didier fait mal son travail de responsable correspondance. Il fait que tout me demander. Il faudrait que maintenant que je lui ai expliqué, il se débrouille tout seul. (Didier dit qu'il va essayer)

Didier : Corinne, je la critique. Elle fait que dire des gros mots en classe. Pourtant on lui avait donné un avertissement.

Président : Qui est d'accord pour lui donner un 2ème avertissement ? - La majorité - Corinne, une gêne (elle se met à parler fort sans avoir la parole)

Malika : Didier et Mohamed nous embêtent quand on joue à la corde dans la cour, et ils ont craché sur la corde.

Didier : C'est moi qui ai craché, je le ferai plus.

Président : Qu'est-ce qu'on décide ? - Un avertissement.

Serge : Didier me dit des gros mots quand je travaille.

Président : Qui est témoin ? - 4 témoins - Didier, on fait que te critiquer. En plus tu fais que faire l'imbécile en classe. - Qui critique Didier cette semaine ? - 6 élèves - Didier, on marque que tu as été critiqué par 6 élèves - M'sieur, marquez-le.

Nadine :  Thomas m'a fait tomber et j'ai saigné.

Président : Est-ce que je l'ai fait exprès ?

Nadine :  Non.

Jean-Marie : Alors, on peut rien dire.

Président : C'est l'heure. Le Conseil est terminé.

Le maître : Nous allons voter pour donner une appréciation au Président. (comme chaque fois) Qui dit MOINS (passable) ? - O - Qui dit PLUS-MOINS (assez bien) ? - 3 - Qui dit PLUS (très bien) ? - 10 - Donc, Thomas, c'est très bien.

 

REMARQUES :

. Pour un lecteur étranger à la classe, cette séance de Conseil pourrait passer pour longue et fastidieuse. Ce ne fut pas le cas, bien au contraire. Les enfants auraient volontiers continué, surtout ceux qui n'ont pas eu le temps et la satisfaction de dire leurs critiques.

. La limitation volontaire à une heure conduit petit à petit les enfants à ne dire que ce qui est le plus important pour eux, laissant de côté les "problèmes de bébé" de début d'année.

. Il faut bien noter que c'est ici un Conseil de 2ème trimestre, donc qu'il y en a eu une vingtaine avant et qu'en "style" de Conseils, il y a pire, et il y a mieux.

. Toutes les règles appliquées au cours de cette séance ont elles-mêmes été décidées lors de Conseils antérieurs, toujours à la majortié du vote. Elles peuvent évidemment être modifiées en cours d'année, mais c'est assez rare.

. Il est peut-être également intéressant de remarquer que je n'interviens que 5 fois en cours de Conseil. Ce qui prouve bien que si l'on donne la possibilité de s'exprimer à des enfants, ils savent l'utiliser et organiser leur vie quotidienne avec une certaine autonomie, pour ne pas dire autonomie certaine. Ce qui est d'autant plus remarquable lorsqu'il s'agit d'enfants (comme c'est le cas dans ma classe) jugés et qualifiés de "bon-à-rien", "d'incapable", de "je-m'en-foutiste", de "débile", "d'inadapté" (à qui, à quoi ???), et j'en passe !

. Ce compte rendu de Conseil pourra peut-être répondre à la question du genre "Mais comment ça se passe un Conseil ?". Réponse très partielle bien sûr, car, dégagée comme ici de tout le contexte de la classe, une telle description peut surprendre ou demeurer dénuée de sens. Il ne faut pas oublier que toutes les activités de la classe coopérative ne peuvent exister sans le Conseil, mais que le Conseil lui-même ne peut exister sans toutes ces activités. On ne peut du jour au lendemain implanter, comme une séance de maths ou de français..., une telle institution. Elle se met en place au fur et à mesure que se met en place la classe coopérative, tout en l'aidant à démarrer.

. A noter enfin, deux règles primordiales de notre Conseil :

- En Conseil on a le droit de tout dire.

- On n'a pas le droit de se moquer.

. Un tel compte rendu peut évidemment provoquer des critiques ou des propositions... mais je terminerai en disant que je regrette toujours, lorsque j'assiste à des réunions diverses entre adultes, que nombre d'entre eux, ne puisse un jour assister à un Conseil de classe d'enfants... "inadaptés", parfois dits "débiles". Peut-être se poseraient-ils alors pas mal de questions !

 

   

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