Patrick ROBO
1983
site : http://probo.free.fr/
courriel : patrick.robo@laposte.net
Depuis
plusieurs années, j'ai introduit dans ma classe un véritable système
d'évaluation, emprunté à la Pédagogie Instituionnelle, qui outre le simple fait
de permettre évidemment d'évaluer, a une incidence sur le fonctionnement et sur
la vie de la classe.
Mais ce système n'a pas été introduit
"gratuitement", au hasard, "comme ça", parce qu'il semblait
faciliter le travail quotidien.
Pour
essayer de répondre à de nombreuses questions qui sont posées relativement à ce
système d'évaluation, je pense qu'il est nécessaire de procéder à une
explication sur le Pourquoi, le Comment et le Rôle de ces échelles dans ma
classe. Puisse cette explication apporter un début de réflexion, de recherche
qui aidera à mieux cerner le problème de l'évaluation et à mieux comprendre ce
qui se passe ou peut se passer au sein d'une classe coopérative.
Ainsi,
dans ma classe, des connaissances, des comportements, des capacités sont
répertoriés dans des échelles, sous forme de tableaux conservés dans les
classeurs individuels et affichés synthétiquement au mur.
1/ POURQUOI
L'INSTALLATION D'ECHELLES DE NIVEAUX ?
1.1 Motif individuel pour les enfants eux-mêmes :
Parce que les enfants qui arrivent dans ma classe
sont généralement "instructurés" ; ils parviennent difficilement (ou
pas du tout) à se situer eux-mêmes et/ou dans le groupe, sont dans une
situation quasi permanente de dépendance vis-à-vis des adultes, des leaders, et
vivent souvent avec une image d'eux-mêmes négative.
Il importe donc de leur donner une image objective
d'eux...
- au point de vue niveaux scolaires : des repères
stables qui leur permettent de dire : "J'en suis là, donc je ne vaux pas
"zéro", et je peux aller plus loin !". Des repères stables et
connus qui leur permettent de voir que l'on ne fait pas des choses bien
différentes des autres classes.
- au point de vue des comportements : Il est
important qu'ils sachent que la façon de se comporter en classe est aussi au
moins importante que les connaissances "scolaires" (valorisation de
tous !), qu'ils sont considérés globalement en tant qu'individus ayant une
histoire, une certaine famille, des copains, des problèmes, des soucis, une vie
à eux, et non pas en tant qu'élèves en faisant abstraction de tout le reste.
- au point de vue des capacités : Il est important
d'apprendre à se connaître, de savoir ce que l'on est capable de faire, ce que
l'on vaut.
Ce système d'évaluation, basé sur le principe des
ceintures de judo (niveaux et couleurs différentes : du blanc au marron), est
aussi un moyen d'auto-évaluation qui permet à chaque enfant de se mesurer à
lui-même et non plus aux autres (seuls repères dans l'enseignement habituel),
parce qu'il voit ce qu'il a fait, où il en est, mais en plus ce qu'il pourra ou
pourrait faire... grâce à ces échelles matérialisées.
D'où, dans la majorité des situations, il va
s'entraîner, essayer de se dépasser pour "se régaler" de réussir. De
plus chacun sait que l'ensemble de la classe coopérative institutionnalisée est
là pour l'aider à le faire !
Et si pendant un certain temps, il n'arrive pas à
"monter" de niveau, il n'y a ni échec ni frustration, chose
importante car il demeure alors égal à lui-même, à son entité... et non
inférieur aux autres !
1.2 Motif d'organisation du groupe :
Parce que la mise en place de certaines techniques,
de certains outils pédagogiques fait de la classe un milieu vivant, ouvert,
branché sur l'extérieur, et crée tout un réseau de relations, d'échanges que
l'adulte ne peut, seul, gérer et/ou dominer de manière cohérente.
D'où la nécessité de cette organisation coopérative
institutionnalisée avec planification du travail, des tâches et donc prises de
responsabilités... Et qui dit responsabilités, dit rôles, qui dit rôles, dit
statuts, qui dit statuts, dit compétences. Et pour acquérir ces compétences, il
faut satisfaire à certaines exigences qu'il faut pouvoir connaître, reconnaître
et évaluer.
1.3 Motif
idéologique :
Parce que convaincu que la classe homogène est une vue
de l'esprit, et que par souci de reconnaissance et de respect de chacun, il
devient normal :
.
de ne demander à chacun que ce qu'il peut faire
.
de n'exiger de chacun que ce qu'il peut assumer.
D'où encore cette nécessité d'échelles de niveaux où
chacun pourra se situer, se mesurer à lui-même (éventuellement aux autres), et
situer les autres dans un but de coopération et un principe d'entraide.
2/ COMMENT ONT
ETE ELABOREES CES ECHELLES ?
2.1 Les différentes échelles introduites :
Cette année, dans ma classe, nous avons des échelles
d'évaluation en : opérations, lecture, écriture, sport, conjugaison,
imprimerie, comportement, orthographe grammaticale.
2.2 Elaboration des échelles :
- Pour les échelles de "connaissances
scolaires", j'ai essayé de découper en tranches matérialisées par les
ceintures, un "minimum de savoir" que les enfants de la classe
pourraient/devraient acquérir. J'ai essayé de tenir compte des découpages de
l'enseignement primaire, liés hélas à l'âge (ceci en cas de déménagement, de
réinsertion, de fin de scolarité obligatoire, de décloisonnement...).
- Pour les échelles de capacités liées à des
activités de la classe, j'ai essayé d'établir des degrés en fonction du nombre
et de l'importance des difficultés relatives à chaque activité. Pour le sport,
l'échelle est, de plus, conçue en tenant compte de la morphologie des enfants.
- Pour l'échelle des comportements qui sont
directement liés à l'organisation et au vécu de la classe coopérative, je l'ai
établie après réflexion avec d'autres praticiens-chercheurs de la Pédagogie
Freinet et de la Pédagogie Institutionnelle.
- Remarque : tous les critères de niveaux ne sont
pas immuables : ils sont toujours à la disposition des enfants qui peuvent les
remettre en question à tout conseil de classe. A noter que ces échelles sont
adaptées à ma classe.
3/ ROLE DES
TABLEAUX DE NIVEAUX DANS LA CLASSE :
Partant du principe que "n'importe qui ne peut
faire n'importe quoi", c'est par un retour systématique à la consultation
des tableaux affichés sur lesquels les niveaux sont matérialisés par des
punaises de couleurs correspondant aux ceintures que s'effectuent le partage
des responsabilités, la planification du travail, l'entraide.
(il est indéniable que ces ceintures facilitent l'entraide
et la rendent plus efficace).
Ils permettent en outre :
- de faire comprendre, admettre,
"légaliser" par le groupe ce qui pourrait être perçu ailleurs comme
une "injustice" ou une entorse à la règle égalitaire et uniforme des
classes homogènes, ou du favoritisme.
- la prise de conscience par les enfants, d'une part
que chacun est différent et a sa propre valeur, d'autre part que l'on ne doit
pas avoir les mêmes exigences avec tous et enfin, qu'une différence de
compétence ou de niveau ne peut et ne doit pas impliquer une hiérarchie des
valeurs et encore moins une relation dominant-dominé entre les individus.
4/ COMMENT
CHANGE-T-ON DE NIVEAUX ?
4.1 Pour les ceintures de connaissances :
J'utilise des sondages et des tests qui reprennent les
exigences de chaque niveau. Quand l'enfant, suite à un travail personnalisé et
personnel, se sent au niveau, il demande à passer le test. S'il réussit il
monte de niveau, s'il échoue, il revient à l'entraînement.
4.2 Pour les ceintures d'activités :
L'enfant essaie d'avoir une réussite répétée à
chaque niveau d'exigence auquel il désire accéder, ceci même au cours de ces
activités. Il fait constater ses réussites par un responsable d'activité qui,
après concertation avec moi, peut attribuer le changement de niveau.
4.3 Pour les ceintures de comportement :
C'est en Conseil que cela se décide, à la demande de
l'enfant. Le Conseil engage une discussion et accepte ou rejette la demande.
5/ EST-IL
POSSIBLE DE DESCENDRE DE NIVEAU ?
NON... L'acquisition d'un niveau (ceinture) n'est
pas facile pour l'enfant (ni difficile). La ceinture est toujours attribuée
après passage d'un test ou mûre réflexion d'un responsable ou du groupe tout
entier. De plus, pour certaines ceintures (comportement, imprimerie par exemple)
il peut y avoir une période "à l'essai" (une quinzaine de jours
environ) après attribution, qui permet généralement de confirmer cette
attribution.
MAIS... si un enfant, pour des raisons diverses,
refuse, rejette la "vie coopérative" il peut lui être attribué la
"ceinture rouge" en comportement qui lui confèrera alors un statut
particulier : il n'est pas rejeté, mais considéré comme n'ayant plus le droit
coopératif.
6/ TEMPS PRIS
DANS LA CLASSE PAR CE SYSTEME ?
Le contrôle et l'évaluation sont totalement intégrés
à la vie de la classe. Cela se passe au fur et à mesure des activités.
Au début de l'année, un peu plus de temps est
consacré aux sondages, passages de tests et mise en place/compréhension du
système.
A noter que les anciens élèves (présents l'année
précédente et cette année) conservent leurs ceintures déjà acquises. Ils
réviseront si nécessaire certaines notions peut-être oubliées.
- Dans toute institution, il est nécessaire d'avoir
un ensemble de points de repère et de Lois. Toute organisation fiable repose
sur des critères de compétences. D'aucuns diront que l'affichage n'est pas une
nécessité, mais... :
. Dans la vie quotidienne, tout individu se repère
par rapport à d'autres individus ou à un groupe sans pour autant avoir des
intentions de compétition. Marcherions-nous debout si nous n'avions pas repéré
que les autres marchent ainsi ?
. La visualisation des repères est plus objective et
moins "dangereuse" qu'une mémorisation plus ou moins floue et fiable
(mémorisation toujours subjective). Elle permet d'éviter toute comparaison due
à un fonctionnement basé sur le "naturel", sur le
"spontané", le "non-dit". Est-ce contraire à la
reconnaissance des différences que d'afficher des compétences qui aideront à
l'accession à l'autonomie et à l'entraide, qui seront (re)valorisantes ?
Il faut rappeler que c'est dans une classe basée sur
la coopération et non la compétition que cet affichage a lieu.
. Sur le plan de l'organisation, de la gestion coopérative,
cela représente un avantage indéniable. Quelle mémoire et quelle faculté
faut-il à un enfant, à un enseignant (surtout s'il n'est pas en
"forme"!) pour se souvenir avec précision qui sait faire quoi dans la
multiplicité des acquisitions et des activités !
Un simple regard sur les tableaux de niveaux permet
rapidement à tout individu de la classe ou non (un remplaçant par exemple) de
(se) repérer, de (se) guider, dans sa démarche, dans ses recherches, dans son
organisation.
. La marérialisation des repérages peut,
semble-t-il, avoir un effet thérapeutique : certains enfants qui ne savent pas
très bien, ou pas du tout qui "ils sont", ni même si "ils
sont", arrivent ainsi parfois à se situer, se re-situer grâce à ces
repères.
. Ce qui est notable avec ce système, c'est la
"dynamisation vers le haut" des enfants, du groupe ; je n'ai jamais
assisté, depuis qu'il existe dans ma classe, à l'apparition de blocages, de
"traumatismes" affectifs ou psychiques.
. Cette visualisation des données aide à une prise
de conscience des réalités, et même pour certains à une acceptation de soi.
. Outre la reconnaissance de soi, par soi et par le
groupe, ce repérage affiché apporte une confiance en soi très aidante sur le
plan du développement de la personnalité.
. De plus, cette matérialisation aux yeux de tous
participe à la mise en place d'une nouvelle conception des valeurs... qui peut
permettre de relativiser certaines données sociales.
8/ COMMENT SE
PRESENTENT CES ECHELLES DE NIVEAUX ?
Dans ma classe elles se présentent sous forme de
tableaux que chaque enfant possède dans son classeur avec la liste des
exigences requises pour chaque ceinture de chaque "discipline", et
une échelle à colorier au fur et à mesure des acquisitions, des progrès.
Un grand tableau affiché en classe reprend
synthétiquement la liste des enfants et des différentes
"disciplines". Tableau à double entrée aux intersections desquelles,
chacun "plante sa punaise" de couleur correspondant aux niveaux.
Je possède dans un classeur un tableau analogue au précédent, mais beaucoup plus précis et comportant le détail des niveaux de chaque enfant, dans chaque "discipline". Ainsi, d'un seul coup d'œil, j'arrive à repérer dans cette mosaïque de niveaux, celui de tel ou tel enfant dans telle ou telle discipline... et à programmer rapidement un travail personnalisé et adapté.
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