LE CONSEIL DE CLASSE COOPERATIVE

 

Patrick ROBO

1994

site : http://probo.free.fr/

courriel : patrick.robo@laposte.net

 


Le "conseil" est une institution immuable dans ma classe. En quoi consiste-t-il ?

C'est une réunion, un "Lieu", un moment; c'est un moyen et une technique largement inspirée des pratiques de grands pédagogues : "L'assemblée générale" chez Makarenko, "Le parlement et le tribunal" des républiques enfantines de Januz Korczak, "La réunion de coopérative" chez Freinet...

 

Voici la définition qu'en donne Fernand Oury([1]) : "Le Conseil, réunion d'informa­tion de tous par tous, OEIL du groupe : appareil de radioscopie décelant les formations micro-sociologiques, "compteur grégaire" renseignant sur l'énergie in­consciente... Instrument d'analyse, d'in­terprétation, de critique, d'élaboration collective et de décision, mémoire du groupe aussi : nous avions parlé de CERVEAU du groupe qui donne un sens à ce qui est dit ici. En tant que réunion d'é­puration qui draine toutes sortes d'éner­gies, les récupère ou les élimine, le Conseil était le REIN du groupe, mais cour de justice ou lieu de recours, lieu où se fait la Loi dans le groupe, où l'on parle au nom de la Loi, différemment et efficacement, le Conseil nous apparaissait comme un moyen de langage, créateur de nouveaux dynamismes : CŒUR du groupe."

 

Le Conseil dans ma classe est le lieu où s'exerce le pouvoir collectif du groupe, le lieu où "l'autorité" traditionnellement re­connue à l'adulte est progressivement as­sumée par le groupe tout entier (enfants et adulte).

Il entraîne un déplacement du pôle de décision qui évite le "rapport de force" "maître-élève". L'enfant n'est pas confronté à l'enseignant seulement (relation duelle), mais à lui-même et au groupe entier.

C'est un lieu d'information protégé par les Lois de la classe, le rituel, l'institué, qui sécurisent et garantissent chaque participant ainsi que le groupe.

Au Conseil, tout peut se dire,  mais dans le respect de chacun et de tous. Cette information renseignera, éclairera, aidera à comprendre, et elle sera dynamisante et créatrice.

C'est un lieu d'organisation du travail collectif : évaluer le travail réalisé, pro­poser des changements, planifier le travail à venir... Il met en lumière les obstacles au travail, les lacunes dans l’organisation, les conflits qui freinent éventuellement la progression des divers projets en cours.

A noter que c'est de projets (et de conflits) que naît le Conseil ; c'est par les projets (et les conflits) qu'il existe. Mais c'est lui qui donnera le jour à des projets nouveaux et leur permettra de se concrétiser.

Le Conseil est une instance essentielle de régulation des relations interpersonnelles par l'intervention du groupe comme "tiers médiateur", évitant à la classe ou à des sous-groupes, ou à des individus, de sombrer dans l'impuissance et l'inaction à cause des conflits entre les individus.

 

C'est un lieu d'intégration et d'accueil pour chaque enfant dans la classe coopérative, dans le sens où un problème de "discipline" par exemple, n'est jamais identifié totalement à un individu en particulier : il n'y a plus d'enfants "à problème", il y a des enfants qui peuvent avoir des problèmes.

Toute démarche de résolution des conflits est axée sur le mieux-être et l'éducation des enfants concernés et non pas sur la répression.

C'est le Conseil qui établit les règles de vie de la classe, ces Lois qui se construisent petit à petit à partir des nécessités, des besoins du travail et de la vie du groupe. Ces Lois évolutives, "malléables", qui gèrent la discipline dont on ne parle pratiquement pas dans la classe coopérative.

Cette instance de régulation sur laquelle le groupe et les individus s'appuient, se reposent, permet, par le traitement des problèmes "à froid", une plus grande objectivité (par le recul pris), et évite l'engorgement de la circulation de la vie dans la classe par les problèmes ponctuels et sans grande importance que nous avons coutume de nommer "problèmes de bébés".

 

Le Conseil est un processus évolutif : l'exercice collectifs du pouvoir ne se réa­lise pas d'un seul coup, du jour au len­demain, simplement parce que l'enseignant a décidé de déléguer une partie de son pouvoir([2]) !

Comme le Texte libre, la Correspondance, le "Quoi de nouveau ?"... Le Conseil dé­marre lentement, sous ma direction, en début d'année. Les enfants apprennent progressivement à "parler au Conseil", à gérer le travail, les activités, les conflits, et à assumer des responsabilités([3]).

Les Conseils ne se ressemblent pas d'une année sur l'autre, mais ils ont tous un profil type : on n'aborde pas les mêmes choses et de la même façon en début, au milieu et en fin d'année. Ils progressent suivant une courbe ascendante avec, gé­néralement, un petit "creux de vague" situé aux alentours du mois de février. Il est important de le savoir... ce qui peut éviter un découragement regrettable.

 

Voici brièvement comment se déroule un Conseil ordinaire dans ma classe :

 

• Il a lieu une ou deux fois par semaine (suivant les années), le mardi (et le ven­dredi), toujours avant une séance de sport ou avant la récréation (car c'est toujours un moment intense de vie). Nous nous retrouvons tous assis autour d'une grande tablerectangulaire([4]). A une ex­trémité se trouve le Président du Conseil (un enfant au moins "couleur verte" en comportement([5]) ; à l'autre extrémité se trouve le Secrétaire de séance (un enfant ou l'adulte).

 

• "Le Conseil commence, du silence !" : c'est le rituel qui se met en place avec les maîtres-mots. A partir de cet instant celui qui parlera sans avoir demandé la parole ou qui perturbera la séance, sera considéré comme "gêneur". Le Président lui donnera "une gêne"... et au bout de trois, il sera exclu du Conseil et ira à sa place pour travailler ou écouter "de loin" ce qui se dit.

 

• Suivant les séances, le Conseil traitera un, deux ou trois chapitres :

 

- Les critiques : Ici, ceux qui ont à se plaindre de quelqu'un (enfant ou adulte), ou de quelque chose, se feront inscrire sur le tour de parole.

On tentera d'apporter une réponse, une solution à chaque cas.

 

- Les propositions : Ici, même chose pour ce qui concerne les propositions de tra­vail, d'activité, de fonctionnement, etc.

 

- Les "ceintures de comportement" : Il s'agit des niveaux de comportement. Ceux qui estiment avoir acquis une compétence relative à un critère de "ceinture", demandent au Conseil s'ils peuvent "avoir" ce niveau. Ce qui sera attribué ou refusé après vote.

C'est le Président qui décide ou fait voter l'ordre des chapitres. A noter que parfois le temps mis à régler certains points fait qu'il en manque pour tout aborder... ("De la frustration naît le désir" - J. Lacan)

Le tour de parole pour chaque chapitre commencera par les "ceintures blanches" en comportement (pour être sûr qu'ils aient le temps de s'exprimer. Ce sont eux qui en ont généralement le plus be­soin !). Le tour de parole peut aussi cor­respondre au tour de table.

 

• Chaque intervenant, quand le Président l'invite à le faire, parle librement. Puis le président donne la parole au groupe. En­fin il fera procéder, si nécessaire, à un vote pour décision qui sera notée par le Secrétaire sur le "Cahier du Conseil".

Ce cahier est très important : c'est la mémoire du groupe. Il est à la disposition des enfants entre les Conseils. Pendant les Conseils on s'y réfère aussi pour voir si un tel a été critiqué plusieurs fois pour la même chose, ou pour (se) rappeler une décision déjà prise, ou...

 

• Le Conseil dure au maximum cinquante minutes. Si toutes les questions sont traitées en moins de temps (chose très rare), on change d'activité. Au bout de cinquante minutes, le Président dit : "Le Conseil est terminé." et généralement il demande une appréciation au groupe sur sa prestation. Moment sincère et très formateur !

Les points non traités tomberont dans l'oubli, ou seront remis à l'ordre du jour du Conseil suivant si un participant le propose.

 

• Et l'enseignant dans tout ça ? Il a le même statut que les enfants ! C'est un participant comme les autres et non un dirigeant. Mais la non-intervention, la non-directivité n'empêchent pas l'adulte d'exister, de garantir, de protéger par sa présence, la validité de cette institution. Eventuellement, en cas de "danger", il redeviendra directif, usant de son "droit de veto".

 

Pour conclure, le Conseil de classe est un élément très formateur pour les enfants, mais aussi pour l'enseignant. L'enfant mérite d'être connu et qu'on lui fasse confiance.

 

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[1] - in OURY F. &  VASQUEZ A., De la classe coopérative à la pédagogie institutionnelle,  Paris, Maspéro. 1978

 

[2] - pouvoir : n. m. Faculté, puissance, autorité, droit de commander... (Dictionnaire QUILLET)

[3] - (il en est autrement quand les enfants ont connu dans les classes précédentes cette démarche pédagogique.)

[4] - dans d'autres conditions les enfants peuvent rester à leur place avec le président et le secrétaire face à eux.

[5] - Cf. Les échelles d'évaluation.