POUVOIR & CONSEIL DE CLASSE COOPERATIVE

Patrick ROBO

Mars 1996

site : http://probo.free.fr/

courriel : patrick.robo@laposte.net

 

 

INTRODUCTION

Lorsque l'on commence à s'intéresser aux relations et médiations dans les situations éducatives plusieurs aspects, plusieurs facteurs peuvent être pris comme sujets de réflexion et d'étude compte tenu de leur importance dans toute relation pédagogique en tant que rencontre asymétrique, moment, interaction[1],.

Il en est ainsi pour ce qui concerne les formes de pouvoir dans l'éducation, formes qui se manifestent dans le rapport pédagogique (souvent de domination[2], voire de domestication au sens où l'écrivait KANT), au travers du discours, des règles et règlements, du contrôle, de la discipline, tels que les ont abordés, dans leurs écrits, en particulier, Roland BARTHES, Pierre BOURDIEU, Gilles DELEUZE, Michel FOUCAULT. C'est cet aspect qui m'a particulièrement interrogé et notamment ce qui étayait ou donnait davantage de sens à des pratiques pédagogiques ou andragogiques issues ou inspirées des courants de la pédagogie encore qualifiée de "nouvelle" et fondées sur une approche humaniste de la relation éducative[3].

 

Comme Roland BARTHES[4], j'ose dire que le pouvoir n'est pas qu'un "objet exemplairement politique", mais qu'il est aussi un "objet idéologique" et "qu'il se glisse là où on ne l'entend pas du premier coup, dans les institutions, les enseignements", qu'il "est présent dans les mécanismes les plus fins de l'échange social".

Comme Michel FOUCAULT[5], j'ose aussi penser que le pouvoir n'est pas un objet, mais "un ensemble de rapports, de relations dans des situations".

Dans cette approche, apparemment contradictoire, la question que l'on peut se poser, dans le métier d'enseignant/formateur, dès lors que l'on veut essayer de déjouer les pièges du pouvoir du discours, est : "Comment passer d'une pratique construite sur le pouvoir du discours qui engendre faute et culpabilité[6] à une pratique pédagogique qui n'assujettisse pas, mais au contraire, libère, parce qu'elle donne (rend) du pouvoir aux individus/élèves ?"

Cette question s'appuie bien sûr sur une réflexion à la fois éthique et politique de l'éducation... Aucune pédagogie n'est neutre !

Parmi les réponses possibles je m'intéresserai plus particulièrement ici à une technique pédagogique, le "conseil" de classe coopérative. Ceci en essayant de comprendre pourquoi cette technique, avec sa capacité instituante, avec l'élaboration de règles, la gestion de conflits et transgressions, avec la gestion de sanctions permet-elle de passer d'un pouvoir dominateur à un pouvoir partagé, autogéré, cogéré ?

 

LE CONSEIL DE CLASSE COOPERATIVE, SES ORIGINES :

Le "Conseil" est un "Lieu", un moment ; c'est un moyen et une technique, une institution. C'est une réunion, largement inspirée des pratiques de grands pédagogues : "L'assemblée générale" chez MAKARENKO et PISTRAK, "Le parlement et le tribunal" des républiques enfantines de Janusz KORCZACK, "Le bureau et l'assemblée d'élèves" chez Barthélémy PROFIT, "La réunion de coopérative" chez FREINET, "Le conseil" chez Fernand OURY...

C'est ce dernier qui en a surtout développé la technique et l'approche théorique, avec notamment Aïda VASQUEZ puis Catherine POCHET.

Aujourd'hui s'il fallait classer le Conseil de classe coopérative, nous dirions qu'il relève des Pédagogies coopérative[7], FREINET[8] et Institutionnelle[9].

Le "conseil" en pédagogie coopérative : Après la première guerre mondiale l'apparition de coopératives scolaires (une centaine sous l'impulsion de B. PROFIT) s'est inscrite dans le mouvement de création des coopératives ouvrières de production et de consommation né en 1842. Le plan LANGEVIN-WALLON (1944) recommandera fortement la coopérative scolaire. Chaque coopérative est gérée par un bureau et ses adhérents, et les décisions se prennent en réunion de bureau ou d'assemblée générale.

Le "conseil" en pédagogie FREINET : Rappelons très rapidement que Célestin FREINET (1896/1966) est à l'origine de cette pédagogie qu'il élabora progressivement sur un principe de compagnonnage dans un mouvement pédagogique, encore vivant et qui s'est constitué autour de lui. Il était à la fois militant politique, syndical et pédagogique à la recherche d'une cohérence d'action entre ces trois approches. Il est à l'origine d'une coopérative d'édition, la C.E.L.[10]. Sa pédagogie est centrée sur "l'enfant membre d'une communauté"[11]. Le "conseil", ici, est surtout utilisé pour la gestion des activités de la classe.

Le "conseil" en pédagogie institutionnelle : Après avoir été un compagnon de FREINET, Fernand OURY est à l'origine (1961) d'un courant de Pédagogie Institutionnelle[12], rappelons-le, inspiré des techniques de la pédagogie FREINET et des pratiques de psychothérapie institutionnelle[13]. Pour résumer ce courant, utilisons l'image qu'il emploie bien volontiers, à savoir le "trépied" reposant sur "le groupe" (LEWIN, MORENO, BION), "les techniques" (FREINET) et "l'inconscient" (FREUD). Le "conseil", ici, est utilisé pour gérer les activités, le groupe et les individus.

 

LE CONSEIL DE CLASSE COOPERATIVE, UNE REUNION...

Voici la définition qu'en donne Fernand OURY[14] : "Le Conseil, réunion d'information de tous par tous, ŒIL du groupe : appareil de radioscopie décelant les formations microsociologiques, "compteur grégaire" renseignant sur l'énergie inconsciente... Instrument d'analyse, d'interprétation, de critique, d'élaboration collective et de décision, mémoire du groupe aussi : nous avions parlé de CERVEAU du groupe qui donne un sens à ce qui est dit ici. En tant que réunion d'épuration qui draine toutes sortes d'énergies, les récupère ou les élimine, le Conseil était le REIN du groupe, mais cour de justice ou lieu de recours, lieu où se fait la Loi dans le groupe, où l'on parle au nom de la Loi, différemment et efficacement, le Conseil nous apparaissait comme un moyen de langage, créateur de nouveaux dynamismes : CŒUR du groupe."

 

LE CONSEIL DE CLASSE COOPERATIVE, UNE INSTITUTION :

La définition que l'on en trouve dans le "Vocabulaire de l'éducation"[15] présente effectivement le "conseil" comme une institution[16], lieu de pouvoir, de partage de pouvoir :

"Le conseil, est une institution de base de la classe coopérative évoluant vers l'autogestion. Les enfants y établissent leurs lois, règlent les conflits, examinent les propositions concernant les activités et les relations au sein du groupe, mettent au point leur plan de travail de la semaine, discutent de leurs réalisations.

 

LE CONSEIL DE CLASSE COOPERATIVE, UN LIEU DE POUVOIRS :

Le "conseil" est de fait une structure au service de la pédagogie. Il présentera donc des objectifs et des formes de pouvoirs différents suivant les finalités pédagogiques choisies. Ainsi, de manière schématique et forcément réductrice nous pourrions en repérer trois "types" :

 

l Le "conseil" en pédagogie coopérative:

Dans cette approche, le "conseil" servira les visées essentiellement pratiques de cette pédagogie :

- des visées économiques : la production-consommation partagée et sa gestion.     Produire, partager et vendre des objets confectionnés...

- des visées pédagogiques : apprendre et se former à des activités de gestion économique et démocratique à partir de ce qui est vécu dans le bureau.  Apprendre à gérer une caisse coopérative, un compte, des produits confectionnés...

- des visées politiques : découverte et mise à l'épreuve de certaines valeurs vécues. Apprendre la gestion démocratique.

Le "conseil" sera avant tout fonctionnel et lieu d'exécution d'un pouvoir collectif. Il s'agira de prendre collectivement des décisions dans l'intérêt de la collectivité. Le pouvoir de l'enseignant reste dominant et les élevés, agents[17], agissent sous son contrôle, sa tutelle.

 

l Le "conseil" en pédagogie FREINET :

Ici, le "conseil" servira les visées essentiellement politiques et éducatives de cette pédagogie :

- des visées politiques au sens où l'on va affranchir[18], émanciper l'enfant-citoyen en l'associant à la gestion de la classe, de ce groupe-coopératif facteur d'éducation populaire.  Apprendre la gestion démocratique, s'initier à l'autogestion.

- des visées éducatives et d'enseignement par le travail[19] scolaire et la production au sens où l'organisation coopérative de la classe et sa gestion par les enfants favoriseront les apprentissages scolaires et comportementaux.  Apprendre à travailler ensemble, à planifier le travail et les activités.

Le "conseil" sera fonctionnel et lieu d'exécution surtout d'un pouvoir collectif, celui de la coopérative à travers le "conseil", mais aussi, ponctuellement, de pouvoirs individuels. On trouvera ainsi des élèves "responsables" d'ateliers, de "métiers", de matériel qui seront amenés à exercer un pouvoir.

Le pouvoir de l'enseignant est partagé en partie, parfois à parité avec les élèves, davantage acteurs[20], agissant sous sa responsabilité.

 

l Le "conseil" en pédagogie institutionnelle :

Ici le "conseil" servira les visées d'adaptation de l'enfant à l'école et réciproquement, ainsi que d'adaptation de la pédagogie. Visées relationnelles, personnelles, mais aussi éducatives.

- des visées de gestion des relations et des conflits dans le groupe : analyse et régulation des problèmes qui se posent.  Apprendre à gérer ensemble le fonctionnement d'un groupe et les relations interindividuelles.

- des visées d'équilibration personnelle des individus par leur implication, participation dans les activités et l'organisation de la classe. Apprendre à parler, à écouter, à aider, à se contrôler.

- des visées éducatives et d'enseignement au sens où la gestion collective et l'organisation coopérative de la classe permettront de tendre vers des apprentissages sur mesure. Apprendre à planifier son (le) travail, à travailler ensemble, à coopérer.

Le "conseil" ici sera fonctionnel mais aussi éducatif, lieu d'un pouvoir collectif, pouvoir du "conseil", bien sûr, mais surtout d'un pouvoir individuel sur soi et/ou sur les autres par l'élaboration de règles et le partage des responsabilités.

Le pouvoir de l'enseignant est partagé dans toute la mesure du possible, parfois à parité, avec tous les élevés, davantage auteurs[21], agissant sous sa responsabilité de garant de la sécurité de tous et détenteur d'un "droit de veto" (pour éviter par exemple qu'un vote démocratique décide de passer le gêneur par la fenêtre !).

 

Ainsi, de la pédagogie coopérative à la pédagogie institutionnelle en passant par la pédagogie FREINET, le Conseil est donc un lieu où s'exerce le pouvoir collectif du groupe et/ou le pouvoir des individus, un lieu où "l'autorité" traditionnellement reconnue à l'adulte est progressivement assumée par le groupe tout entier (enfants et adulte). Il entraîne un déplacement du pôle de décision qui évite le "rapport de force" "maître/élève", "dominant/dominé".

 

LE CONSEIL DE CLASSE COOPERATIVE, UNE TECHNIQUE :

Avant de voir plus précisément ce que recouvre cette technique pédagogique, il est indispensable de signaler qu'elle ne s'introduit, n'existe, ne fonctionne dans une classe que parce qu'elle est fondée sur du sens collectif et individuel. Précisons aussi que sa mise en œuvre dépend du pouvoir de l'enseignant dans le cadre de sa liberté de choisir "sa" pédagogie.

Voyons, par exemple, quelle est la place de cette technique dans la mise en place d'une organisation pédagogique, d'une vie de groupe, d'approche "Freinet-institutionnalisée" ?

 D'abord l'enseignant introduit des techniques et des outils pédagogiques qui sont en interaction (leçons, correspondance, recherche, fichiers, ordinateur...) et qu'il fait fonctionner seul (homme orchestre joint seul la partition).

 Ensuite il introduira d'autres techniques, des structures, elles aussi en interaction qui vont favoriser un fonctionnement sur le modèle de la différenciation pédagogique et qui lui permettront d'être plus disponible (ateliers, règles de vie, entraide, responsabilités...). Ce qui va donner la parole aux enfants, de l'autonomie, des libertés liées à des droits et devoirs... Ce qui va engendrer des relations nouvelles et des conflits de fonctionnement ou relationnels. A ce niveau l'enseignant peut encore tout gérer ou commencer à partager une partie de son pouvoir d'organisation, de gestion, d'enseignement. Il sera plus ou moins homme orchestre ou chef d'orchestre.

 C'est à ce niveau qu'apparaîtra, dans cette approche pédagogique, mais aussi systémique, la nécessite d'une structure organisationnelle, régulatrice et médiatrice, d'une institution qui facilitera l'organisation de la classe, des activités, et la gestion des relations et conflits. (L'enseignant devient le chef d'orchestre qui fera jouer la partition) Le "conseil" apparaît alors comme la clef de voûte de cet "atomium"[22] qu'est une classe.

 

 

 

Voyons aussi de plus prés ce que recouvre le "conseil" ?

l C'est un lieu de parole et d'information protégé par les règles de la classe, le rituel, l'institué, qui sécurisent et garantissent chaque participant ainsi que le groupe. Ici chacun est "autorisé" à s'exprimer sans "procédures d'exclusion par le discours"[23], chacun, comme l'écrit P. BOURDIEU, peut se trouver en position "d'autorité"[24].

 "Pour aller visiter le zoo, chacun devra payer 6F de bus" ; "J'ai vu X qui défendait Y", " Je critique le maître qui a oublié d'éteindre en sortant", "Y, m'a traité de sale arabe"...

 

l C'est un lieu d'organisation du travail collectif : Evaluer le travail réalisé, pro­poser des changements, planifier le travail à venir... Il met en lumière les obstacles au travail, les lacunes dans l'organisation, les conflits qui freinent éventuellement la progression des divers projets en cours.

 "Je propose que l'on dispose autrement les bureaux" ; "Il est décidé d'aller visiter le zoo" ; "Il faudra acheter de la colle pour terminer les cadeaux " ; "X sera responsable de l'arrosage des plantations"...

A noter que c'est de projets (et de conflits) que naît le Conseil ; c'est par les projets (et les conflits) qu'il existe.

 

l Le Conseil est une instance essentielle de régulation des relations interpersonnelles par l'intervention du groupe comme "tiers médiateur".

Cette instance de régulation, par le traitement des problèmes "à froid", évite l'engorgement de la vie dans la classe par des problèmes ponctuels qui peuvent finalement s'avérer sans grande importance.

 "Je critique X qui m'a gêné dans mon travail" ; "Il est décidé que Y aidera Z à assurer son métier" ; "Le groupe A ira à l'atelier peinture après le groupe B", "Nous ferons un sociogramme[25] pour changer les équipes"...

 

l  C'est un lieu d'intégration : il n'y a plus d'enfants "à problème", il y a des enfants en relation qui peuvent avoir des problèmes.

 "X sera pris en charge par le groupe C" ; "On laisse une chance à Y qui ne s'est pas contrôlé hier matin"...

 

l C'est un lieu de législation : le Conseil établit les règles de vie de la classe qui se construisent petit à petit à partir des nécessités, des besoins, du travail et de la vie du groupe.  Evolutives, "malléables", elles gèrent la "discipline" de la classe coopérative et vont mettre en place diverses formes de pouvoirs collectifs et individuels.

 "On garde sa responsabilité pendant un trimestre" ; "Il est interdit de se moquer" ; "On peut se déplacer en classe sans déranger les autres" ; "Il est interdit de courir dans les bâtiments" ; "Celui qui sait aide celui qui ne sait pas"...

 

l Le Conseil est un processus évolutif : l'exercice collectif du pouvoir ne se réalise pas du jour au lendemain, simplement parce que l'enseignant l'a décrété.

Le Conseil démarre lentement, sous la direction de l'adulte en début d'année. Les enfants apprennent progressivement à "parler au Conseil", à gérer le travail, les activités, les conflits, à assumer des responsabilités, leurs droits et leurs devoirs, à partager le pouvoir avec l'adulte et les pairs.

 

l Il peut avoir lieu une ou deux fois par semaine, présidé par un enfant compétent. Un secrétariat est assuré par un enfant ou l'adulte dans le "Cahier du Conseil", mémoire du groupe. Sa durée est limitée à l'avance. Il est régi par un rituel et des maîtres-mots : gêneur, décision, proposition, des questions ?, des témoins ?, avis contraire... Suivant les séances, le Conseil traitera un, deux ou trois points : Les propositions ; Les critiques ; Les félicitations.

 

l L'enseignant est un participant comme les autres, ce qui ne l'empêche pas d'exister, de garantir, et de protéger par sa présence, la validité de cette institution. Eventuellement, en cas de "danger", il saura user de son "droit de veto", pouvoir extrême qu'il justifiera par la suite.

 

 

CONSEIL, REGLES, POUVOIRS...

Essayons maintenant de repérer par qui, où, quand et comment est exercé le pouvoir dans cette organisation pédagogique autour d'un "conseil".

 

QUI A LE POUVOIR ?

 

Tout d'abord, et légalement, dans l'INSTITUTION Education Nationale, c'est l'enseignant qui a le pouvoir, en tant que responsable de la classe et des individus-enfants qui lui sont confiés.[26]

Dans une pédagogie traditionnelle, il le gardera tout. Dans une classe coopérative et/ou institutionnelle[27], il accepte d'en confier une partie au groupe et aux individus. Les enfants le savent mais sont avertis "qu'en cas de danger (pour l'organisation, le groupe ou l'un des individus)", c'est l'enseignant qui aura tout pouvoir (le droit de veto).

Au niveau du pouvoir, nous pouvons percevoir un partage entre pouvoir législatif, pouvoir exécutif et même, me semble-t-il, pouvoir que je qualifierais d'organisation, d'initiative... à moins que l'on veuille le confondre avec l'un ou l'autre des deux premiers cités.

 

Le pouvoir législatif

En premier, c'est l'enseignant qui le possède quand il introduit des règles FONDAMENTALES liées aux valeurs de la société et à ses valeurs personnelles -dimension axiologique- ainsi qu'aux finalités de l'éducation -dimension téléologique- : "On respecte les autres", "On respecte le matériel", "Celui qui sait aide celui qui ne sait pas".

Ensuite, c'est le Conseil qui le détient, puisque ce n'est qu'à ce niveau que sont, généralement par vote, instituées les règles de la classe, ou qu'elles sont modifiées, abrogées lorsqu'elles s'avèrent inefficaces ou inutiles.

 

Le pouvoir exécutif

Tout d'abord, c'est chacun qui l'a vis à vis de lui-même dans le groupe pour tenter d'accéder à l'autodétermination et à l'autonomie : "Je respecte les règles", "Je fais appliquer une règle", "Je choisis"...

Chacun doit aussi l'avoir sur les autres, au moins dans un domaine, pour sa reconnaissance dans le groupe, voire personnelle. Ainsi chacun a-t-il au moins une responsabilité dans la classe, aussi futile soit-elle aux yeux d'adultes, et la règle "on écoute les responsables" est là pour l'aider, en principe, à exercer son pouvoir.

Chacun a également le pouvoir de demander à l'un quelconque du groupe, le maître y compris, de respecter une règle... et souvent ce rappel suffit.

Ensuite, c'est le groupe, au travers des responsables ou du Conseil qui a le pouvoir de faire appliquer les règles.

Enfin, en dernier recours et en cas de danger, c'est l'enseignant qui le possède.

 

Le pouvoir d'organisation, d'initiative

Ici aussi et dans le cadre institutionnel de la classe, c'est à la fois l'individu, le responsable, le groupe qui le possèdent.

En cas d'urgence, et en fonction de ses compétences (généralement supérieures à celles des enfants), l'enseignant utilise ce pouvoir en s'en expliquant ou en rendant ensuite des comptes au groupe.

 

 

QUAND LE POUVOIR EST- IL EXERCE ?

 

Le pouvoir législatif est exercé principalement lors du Conseil de classe (bi)-hebdomadaire, lieu et temps où l'on "travaille" sur les règles du groupe.

 

Le pouvoir exécutif est exercé à tout moment par chacun vis à vis de lui-même qui décide de respecter les règles ou chaque fois qu'un responsable est en mesure, en droit d'exercer sa responsabilité (en ateliers, dans les rangs, à l'animation du "Quoi de nouveau ?" -l'entretien du matin-, etc.) Il est également exercé pendant le Conseil par le groupe entier ou à sa majorité. Enfin il peut être exercé à tout instant lorsque l'enseignant doit utiliser son pouvoir en dernier recours et/ou en cas de "danger".

 

Le pouvoir organisationnel, d'initiative est exercé chaque fois que l'occasion se présente et que le lieu et le moment le permettent (pendant un Conseil, un atelier, un moment d'activités personnelles, une séance de sport...)

 

 

COMMENT LE POUVOIR EST-IL EXERCE ?

 

Le pouvoir législatif :

C'est souvent par vote, à la majorité, qu'il est exercé, sauf bien entendu, pour les règles fondamentales et sociales, imposées par l'adulte, par le règlement de l'établissement, par le code civil... et qui ne sont pas à remettre en question ici.

 

Le pouvoir exécutif :

En premier, c'est par la parole qu'il est exercé : souvent, le seul fait de rappeler une règle suffit pour qu'elle soit appliquée ou respectée, tout comme aussi par le simple fait de dire : "Tu seras critiqué au Conseil".

C'est aussi, parfois, par la lecture d'une règle (elles sont toutes écrites) lorsqu'il est demandé à un élève de relire, pour mémoire, le cahier des règles.

Il est aussi exercé par un système d'avertissements voté au Conseil : "Au bout de 3 avertissements, une décision est prise". Ainsi, par exemple, en atelier, un responsable peut renvoyer à sa place, après trois avertissements, un élève qui ne l'écoute pas et/ou ne respecte plus les règles de fonctionnement. Se greffe là-dessus la règle dite des "gêneurs" réservée aux lieux de parole (Quoi de nouveau ?; Conseil ; Conférence d'enfant...) : "au bout de 3 gênes[28], on n'a plus le droit à la parole et on peut être exclu"

Mais c'est surtout dans le Conseil que le pouvoir exécutif s'exerce au niveau du "traitement" des transgressions, par un système de sanctions applicables sur place ou par la suite (sanction privation ; sanction matérialisation ; sanction compensation ; sanction "bête" ou punition -quand on ne trouve rien d'autre !- ; sanction exclusion de la vie coopérative). Chaque "coupable" a le droit de s'expliquer, de se défendre, d'être défendu ; c'est après discussion argumenterai que la sanction, le plus souvent après trois avertissements, est décidée par le Conseil. Il est à noter que les sanctions sont adaptées, le plus possible, à la gravité de la transgression mais aussi au niveau de comportement, à l'état de l'enfant.

 

Le pouvoir organisationnel, d'initiative :

Il s'exerce de façons très diverses et difficiles à recenser. Il s'exerce notamment au Conseil par le système des propositions relatives à l'organisation, à la gestion du temps, de l'espace, des activités. Il s'exerce lorsque les responsables assument pleinement leurs responsabilités. Il s'exerce beaucoup aussi, au moment des activités, personnelles par chacun.

Ce pouvoir-là est un pouvoir de groupe au niveau du Conseil et des ateliers, mais il est surtout un pouvoir individuel dans le cadre des institutions de la classe.

 

 

OU LE POUVOIR EST-IL EXERCE ?

 

Tout ce qui précède apporte réponse à cette question. En fait, c'est dans tous les "lieux" de la classe qu'il est exercé et qu'ainsi, par le "conseil" de classe coopérative, bien des enfants parviennent progressivement à déjouer des pièges, manipulations, abus de pouvoir magistral (conscients ou non), s'inscrivant de la sorte dans une réelle éducation citoyenne.

 

POUR ESSAYER DE CONCLURE

Comme l'explique M. FOUCAULT[29], le pouvoir vient d'un équilibre accepté par le haut (ici, l'enseignant) et le bas (ici, les élèves) et l'on peut affirmer que le "conseil" permet de modifier l'ordre habituel (dans l'enseignement traditionnel) du discours, permettant ainsi que le pouvoir ne s'acquière pas, ne se prenne pas, mais s'exerce différemment et de manière immanente dans un jeu de relations nouvelles, en situations d'altérité sinon d'équité.

Comme le précise R. BARTHES[30], il y a généralement une forme oppressive dans l'enseignement : ce sont les formes discursives de l'enseignant (encore souvent appelé "maître" à l'école primaire). Comme nous venons de le percevoir, le "conseil", parmi d'autres techniques pédagogiques, parce qu'il institue la possibilité d'un partage du discours, parce qu'il tolère toute forme d'expression vernaculaire ou formelle[31], parce qu'il "(re)donne sa place à l'énonciateur"[32], parce qu'il installe des "espaces de liberté" permet d'affranchir, de libérer, d'autoriser[33] les élèves-sujets.

De fait, le "conseil" permet d'alléger la relation de pouvoir dans la relation pédagogique. Et c'est ce qui pose peut-être problème, sinon question à certains enseignants. En effet, cette technique n'altère-t-elle pas le "fantasme" de pouvoir qui habite tout enseignant ? Ne va-t-elle pas à l'encontre de "l'habitus" dans le "champ" de l'enseignement[34] ? Ce qui explique peut-être les réticences, résistances ou oppositions de certains à utiliser le "conseil" dans leur pédagogie par crainte de détruire l'image qu'ils ont d'eux-mêmes.

Terminons en nous demandant, à l'instar de J. LEVINAS[35], s'il ne conviendrait pas que bien des enseignants commencent à analyser comment ils fonctionnent, comment ils parlent, retournant ainsi sur soi le désir de contrôle, de pouvoir qu'ils ont sur les élèves. Question d'éthique.

 

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PETITE BIBLIOGRAPHIE PRATIQUE

ARDOINO J. & LOURAU R., Les pédagogies Institutionnelles, Paris, P.U.F, 1995

FREINET C., L'organisation de la classe, Cannes, Dossier Pédagogique de l'Ecole Moderne n∞5, 1964

FREINET E., Naissance d'une pédagogie populaire, Paris, Maspéro, 1968

JASMIN D., Le conseil de coopération, Québec, Editions de la Chenelière, 1994

MIALARET G., Vocabulaire de l'Education, P.U.F, Paris, 1979

OURY F. &  VASQUEZ A., De la classe coopérative à la pédagogie institutionnelle,  Paris, Maspéro. 1978

OURY F. & VASQUEZ A., Vers une pédagogie institutionnelle, . Paris, Maspéro,. 1977

PAIN J. (s.l.d. : Groupe des Marleines), De la pédagogie institutionnelle à la formation des maîtres, Paris, Matrice PI, 1994

POCHET C.& OURY F., Qui c'est le conseil ?,  Paris, Maspéro, 1979.

ROBO P., Qu'est-ce que la Pédagogie FREINET ?, Se Former +, Lyon, 1996.

ARTISANS PEDAGOGIQUES, bulletin du groupe départemental I.C.E.M.

 

 

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[1] : Cf. HESS R., WEIGAND G.,  La relation pédagogique, Paris, A. Colin, 1994

[2] : Cf. DURKHEIM E., Education et sociologie, Paris, PUF, 1966, p 54-55.

[3]  Cf : POSTIC M., La relation éducative, Paris, PUF, 1979, p 64-71

[4] : BARTHES R., Leçon, Paris, Points-Essais, 1994, p. 11

[5] : FOUCAULT Michel, La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976

[6] : BARTHES R., op. cit. p. 11

[7] : Pédagogie développée par l'O.C.C.E. (Office Central de la Coopération à l'Ecole)

[8] : Pédagogie développée par l'I.C.E.M. (Institut Coopératif de l'Ecole Moderne)

[9] : Pédagogie Développée par les groupes de Pédagogie Institutionnelle

[10] : Coopérative de l'Enseignement Laïc à Cannes, aujourd'hui remplacée par les P.E.M.F. (Publications de l'Ecole Moderne Française)

[11] : in FREINET C., Pour l'école du peuple, Paris, Petite collection MASPERO, 1964.

[12] : Cf. ARDOINO J. & LOURAU R., Les pédagogies Institutionnelles, Paris, P.U.F, 1995

[13] : Cf. les travaux de François. TOSQUEILLES et de Jean OURY.

[14] : OURY F. &  VASQUEZ A., De la classe coopérative à la pédagogie institutionnelle,  Paris, MASPERO. 1978.

[15] : MIALARET G., Vocabulaire de l'Education, P.U.F, Paris, 1979

[16] : Institution instituée et instituante

[17] : Cf. ARDOINO J., L'approche multiréférentielle en formation et en sciences de l'Education, Pratiques de formation (analyse), Paris, Université Paris VIII, 1993

[18] : Cf. FERRY G., La pratique du travail en groupe, Paris, Dunod, 1971

[19] : Cf. FREINET C., L'éducation du travail, Neuchâtel et Paris, Delachaux et Niestlé, 1967

[20] : Cf. ARDOINO J., op. cit.

[21] : Cf. ARDOINO J., op. cit.

[22] : Cf. OURY F. & VASQUEZ A., Vers une pédagogie institutionnelle, p. 101.

[23] : Cf. "L'ordre du discours" de Michel FOUCAULT.

[24] : Cf. BOURDIEU P., Leçon sur la leçon", Paris, Ed. de Minuit, 1982.

[25]  :Cf. Le sociogramme-express in De la classe coopérative à la pédagogie institutionnelle - Tome II.

[26]  : Cf. Les règles de la fonction publique et les Instructions Officielles propres à l'Education nationale.

[27]  : OURY F. &  VASQUEZ A., De la classe coopérative à la pédagogie institutionnelle,  Paris, MASPERO. 1978

[28] : On gêne quand on parle sans avoir la parole.

[29] : Cf. "La volonté de savoir", Paris, Gallimard, 1976

[30] : BARTHES R., op. cit. p. 42.

[31] : Cf. BERNSTEIN, "Langages et formes sociales", Paris, Ed. de Minuit, 1975.

[32] : Cf. DELEUZE G., "Pourparlers", Paris, Ed. de Minuit, 1990.

[33] : au sens de "auteurs", Cf. ARDOINO J., op. cit.

[34] : Cf. BOURDIEU P., op. cit.

[35] : LEVINAS J., Entre nous", Paris, Ed. Poche.

 

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