A PROPOS DE MEDIATION...

Patrick ROBO

Version du 30/11/1996

site : http://probo.free.fr/

courriel : patrick.robo@laposte.net

 

Dans ma pratique pédagogique d'instituteur spécialisé puis de conseiller pédagogique (pratique ayant des racines dans la pédagogie coopérative, la Pédagogie Freinet et la pédagogie institutionnelle), j'ai toujours cherché et je cherche toujours à ne pas rester dans une "pratique" mais à m'inscrire dans une "praxis" au sens où le développe Francis IMBERT[1]. La question rémanente étant alors, "Comment passer de l'INJONCTIF au PARTICIPATIF, au COOPERATIF  ?" ou, autrement dit, "Comment permettre à “l'apprenant”, au “en formation” de ne pas être simplement un AGENT, mais de devenir un ACTEUR, sinon un AUTEUR de ses apprentissages, de sa formation  ?", selon l'approche de Jacques ARDOINO[2]. Ce qui peut aussi se décliner en "Comment briser la relation magistrale, la relation duelle - ou les relations duelles en parallèle - de tout enseignement collectif, modèle le plus répandu, de l'école à l'Université  ?"

Et si LA réponse était  : "LA MEDIATION"  ? Elémentaire, ou universitaire, mon cher... ! Oui, mais encore  ?

 

La MEDIATION, c'est...

 

Inutile de chercher dans les deux dictionnaires les plus idoines à ce jour[3]. Le "mot" n'y est pas[4].

Ce pourrait être un concept, un principe, une technique, un moyen, un dispositif, une stratégie...

Et si c'était... "quelque chose que l'on met entre"  ?

Dans le cadre de cette réflexion, nous pourrions dire que la médiation est effectivement une "chose" (à préciser), un "tiers", que l'enseignant, le formateur introduit, volontairement, consciemment dans une démarche d'enseignement, de formation entre un individu et l'objet de son apprentissage, un savoir.

En ce sens, la médiation est un "moyen" dont l'objectif premier est éducatif en même temps qu'il permet des réussites à la fois sociales et narcissiques, tant pour celui qui enseigne que pour celui qui apprend, contribuant par là à l'idée de "Minimum de Reconnaissance du Moi" (M.R.M.), chère à Jacques LEVINE. L'objectif second étant une recherche de bien-être et de bien-vivre lors d'une situation d'enseignement et d'apprentissage. Un troisième objectif, peut-être moins repéré, pouvant être de "protéger" ceux à qui l'on enseigne, mais aussi de "se protéger", soi, en tant qu'enseignant, éducateur, formateur... individu. Se protéger pour ne pas se laisser accaparer, absorber, dévorer par l'Autre, les Autres, comme cela arrive parfois (souvent  ?) dans toute relation magistrale, dans toute relation duelle où l'on est en contact, au contact, sans recul, sans distance avec cet Autre qui n'est pas forcément "différent" mais plutôt "autrement".

La médiation, ce "quelque chose que l'on met entre" des individus, entre des individus et des savoirs, relèverait donc à la fois d'éducation, de protection et de... plaisir, en tenant compte de la réalité de toute situation pédagogique. Question de principes. Elle favoriserait ainsi une appropriation de savoirs en même temps qu'elle pourrait, devrait permettre une distanciation avec, pour, celui qui apprend, par l'établissement d'un "lien-tiers" entre l'apprenant et l'objet d'apprentissage.

Mais, "tout acte pédagogique est médiation", diront les Dames et Sieurs JOURDAIN-PEDAGOGUES...

 - Oui, comme le laisse supposer le désormais "classique" triangle pédagogique avec ses trois pôles "Savoir - Elève - Professeur " tel que le présente, entre autres, Jean HOUSSAYE[5]et où la disparition du pôle "P" annihile tout apprentissage. Comme s'il suffisait que le Professeur soit présent pour que l'élève apprenne... Symptôme de "dépendance"  ?

 - Non dans notre approche car nous envisageons la médiation comme une "chose" que le Professeur, l'Enseignant, le Formateur, l'Educateur introduit, place, volontairement et "en connaissance d'effet", entre un apprenant et des savoirs,  quitte pour lui  à s'extérioriser, s'extraire, voire à disparaître de la situation triangulaire évoquée, à faire son "deuil" de la toute puissance.

Ainsi, nous faisons évoluer ce triangle bien connu vers un nouveau triangle avec les trois pôles "Savoir - Elève - Médiation" et nous passons alors d'une "médiation simple" à une "médiation complexe" telle que la décrit Jacques LEVINE[6]. Ou...

D'une situation pédagogique à des situations d'apprentissage  :

 

Ce qui nous conduit nécessairement à parler de médiations au pluriel, car si le Professeur, l'Enseignant, le Formateur est généralement "unique" pendant la séance, dans la classe, la médiation, elle, peut prendre différentes formes, même avec l'unique Professeur. Oui, mais encore  ?

 

Les MEDIATIONS, ce sont...

Au fait, que sont les médiations, dans cette conception de l'acte d'apprendre  ? C'est la question que je me suis posée en convoquant mes pratiques de classe et de formation par lesquelles j'ai essayé et j'essaie de faire se rencontrer un apprenant et des savoirs dans le cadre de l'institution qui m'emploie, me donne des instructions (officielles) et a ses propres exigences. Cette rencontre ayant en principe lieu au sein d'un groupe dont l'hétérogénéité est la marque essentielle et constante, quoi que l'on en dise[7].

Ce questionnement m'a conduit à produire une liste, une panoplie de "choses" que "j'utilise" ou peux "utiliser" délibérément, consciemment, suivant les circonstances, selon la réalité des situations. Quelles sont donc les diverses médiations à mon service et au service des apprenants, de leurs apprentissages  ? Quelles sont ces médiations qui peuvent favoriser, faciliter en même temps la relation au Savoir (Savoir, savoir-faire, savoir-être, savoir-devenir), la relation à l'Autre, la relation au Groupe  ? Voici celles que je repère non exhaustivement  :

Des personnes  :
            Un enseignant ; un formateur ; un pair  ; un tuteur  ; un moniteur  ; un "grand frère ;
            un intervenant extérieur...

Des structures
            Des groupes (d'apprentissage  ; de besoins  ; de niveaux)[8]  ; des équipes...

Des lieux
            Les coins (lecture, recherche...)  ; la table des leçons  ; la B.C.D.  ;
            le cercle du conseil de classe  ; la cabane  ; les lieux de parole...

Des outils
            Les fichiers autocorrectifs  ; des fiches-guide  ; des repères de couleur  ;
            la boîte à question ou à idées, l'ordinateur...

Des techniques
            Le journal de classe  ; la correspondance scolaire  ; l'enseignement mutuel...

Le temps
            comme cadre, repère  : l'emploi du temps  ; le respect des horaires...
            comme prise de recul  : mise en différé d'une décision, d'une régulation...

Des institutions
            Les Règles de vie  ; le Conseil de classe  ; le partage des responsabilités  ;
            l'entraide...

Des objets
            Le bâton de parole  ; l'affiche des règles de vie  ; l'horloge  ; un sablier...

Des statuts
            Le tuteur  ; le responsable  ; l'élève...

Des rôles
            Celui qui aide  ; celui qui apprend  ; celui qui est garant...

La parole
            Libre  : le droit à l'expression.
            Gérée  : la régulation par des règles.

L'écriture  :
            Libre  : le droit à l'expression.
            Gérée  : respect des différents codes sociaux.

La motivation
            celle qui est différente de compétition, chantage, punition, récompense  ;
            celle qui est spontanée, "naturelle" dans un groupe.

Le sens
            La responsabilisation  ; l'évaluation formative  ; le statut de l'erreur.

Le désir
            Celui de grandir en particulier  ; celui de savoir, comprendre, d'exister et d'être
            reconnu.

...

Elémentaire donc. Une fois ces "moyens" repérés, suffit de s'en servir... Pas si simple que cela dans les faits, dans une classe en tant que lieu où sont réunis des individus pour apprendre et qui ne se sont pas forcément choisis.

 

De la formation à, par la médiation...

Et s'il était nécessaire (indispensable ?) d'un minimum de formation à la médiation, par la médiation pour devenir un enseignant, un formateur capable d'exercer son métier en utilisant ces médiations... Mais quelle formation au fait  ?

"Peut-on former des enseignants  ?" se demande Michel DEVELAY[9] qui répond "oui et non". Nous pourrions nous demander, à son instar, "Peut-on former des enseignants à la médiation  ?". Peut-on les former à des dispositifs  ? Nous pourrions penser pouvoir répondre "Certainement, surtout s'ils en ont le désir".

Mais le plus difficile n'est-il pas en fait de former à des dispositions  ? De "trans-former" des enseignants pour qu'ils aient un regard autre, différent, sur la situation d'apprentissage, sur l'acte d'apprendre, sur l'apprenant  ? "Trans-former" les enseignants qui pensent que tout apprentissage n'est possible que dans la dépendance au "tiers-adulte", au "tiers-qui-sait"  ?

Difficile n'est pas impossible et si l'on s'inscrit dans le principe d'éducabilité, dans le paradigme constructiviste, la question devient "Comment peut-on aider des enseignants à se former à la médiation?", et ce, dans la cohérence, dans un principe d'homomorphisme[10], c'est-à-dire à se former par la médiation.

La recherche de réponse(s) à cette question nous entraîne donc à chercher, à repérer quelles sont les compétences nécessaires pour utiliser la médiation au sens où nous l'avons approchée ici.

Ä Quelles compétences pour l'enseignant  ? Mais aussi  :

Ä Quelles compétences pour le formateur  ?

Ä Quelles compétences pour l'inspecteur  ?

Ä Quelles compétences pour le conseiller pédagogique  ? Mais aussi  :

Ä Quelles compétences pour l'enfant-tuteur, l'enfant-moniteur, l'enfant-pair  ?

Ä Quelles compétences pour  :           - repérer

                                                        - identifier

                                                        - comprendre

                                                        - anticiper

                                                        - gérer

                                                        - agir

                                                        - et s'extraire, disparaître, ne plus exister...

mais alors là, à la fin, quel sale coup pour le narcissisme de l'enseignant, du formateur, de "l'appreneur" !

Heureusement des groupes d'analyse de pratiques, des Groupes de Soutien au Soutien6 pourront aider à vivre ce deuil...

Alors...

Comment former, comment "trans-former" à la médiation... par la médiation  ?

Objet d'une autre réflexion  ?

 

 

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DES PISTES A OUVRIR, A SUIVRE...

 

Ayant eu le plaisir d'assister à des journées de réflexion de l'A.G.S.A.S.6 sur le thème de la MEDIATION, je ne résiste pas à la tentation de livrer ici à la sagacité du lecteur quelques unes des idées, réflexions, pistes dont je me suis imprégné dans la richesse des échanges.

' A l'école, habituellement, la priorité collective est donnée à la classe et l'on se trouve dans l'INJONCTION, avec une élève AGENT et un maître MEDIATEUR entre celui-ci et l'institution  :

Elève       è       Maître           è       Institution

' La médiation peut être entendue comme défi à l'hétérogénéité (d'un groupe) en même temps que défi au narcissisme (d'un individu). Défi au narcissisme car chacun, enseignant et élève, est en recherche permanente de VALEUR et de POUVOIR, recherche dans le pulsionnel mais aussi dans le social  ; recherche dans la classe avec, en table de fond, les exigences institutionnelles. La médiation peut conduire à un équilibre, toujours fragile, entre ces différents paramètres.

 

 

Mais pour tout individu, comment négocier entre des recherches de Valeur et de Pouvoir sans penser qu'il existe un "bon ordre" établi  ?

 

' La médiation est bipolaire.

' La médiation est un équilibre entre "CONFLIT" et "SOLIDARITE" d'où l'importance de clarifier la notion d'AUTRE, qui est Autre parmi les Autres.

' La médiation est un PASSAGE du JE vers l'autre  : JE  è  MEDIATION  è  l'AUTRE
C'est un travail de pontonnerie qui permet au sujet de passer du passé au présent vers le futur.

' Si l'on s'interroge sur l'individu et son Savoir, sur quelle médiation mettre en place entre l'ELEVE et son Savoir on ne peut pas ne pas s'interroger sur quelle médiation mettre en place entre l'ENSEIGNANT et son Savoir.

' La médiation est un espace ouvert et limité, donc un cadre où la parole du sujet peut émerger (verbalisation), un espace où des personnes sont acceptées, accueillies dans leur globalité. Elle permet de restaurer le statut de sujet.

' La médiation a le désir de rendre l'Autre autonome..

' La médiation est de l'ordre de l'humain. Elle relève d'humanisme.

Quant à la remédiation  ?

 

 

 

 

  

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[1]  : IMBERT F., Pour une praxis pédagogique, Paris, Matrice, 1985.

[2]  : ARDOINO J., L'approche multiréférentielle en formation et en sciences de l'éducation, Pratiques de formation (analyse), Paris, Université Paris VIII, 1993.

[3]  : Dictionnaire actuel de l'éducation, 2ème édition, Paris, ESKA, 1993.

     Dictionnaire encyclopédique de l'éducation et de la formation, Paris, NATHAN, 1994.

[4]  : A ce niveau, afin d'introduire un brin d'INTERACTIVITE entre le lecteur et sa lecture, je l'invite à suspendre la découverte de la suite de ce texte et de déposer, sur une page, "sa" définition de la "médiation".

[5]  : HOUSSAYE J. (sld),  La pédagogie  : une encyclopédie pour aujourd'hui, Paris, ESF, 1993.

[6]  : LEVINE J., in JE EST UN AUTRE n°5, Paris, 1996. (revue de l'A.G.S.A.S. - Association des Groupes de Soutien au Soutien créée par J. Lévine - Siège social : 2, place du Général Koenig 75017 PARIS)

[7]  : La "classe homogène" n'est-elle pas une vue de l'esprit, un pur produit épistémique  ?

[8]  :  MEIRIEU P., Apprendre en groupe  ? Tomes 1 & 2, Paris, Chronique sociale, 1993.

[9]  : DEVELAY M. , Peut-on former les enseignants  ? Paris, ESF, 1994.

[10]  : D'aucuns diront d'isomorphisme, d'homothétie, de congruence. Peu importe ici. L'idée prégnante est que toute formation d'enseignant devrait revêtir les "mêmes formes" (pas forcément égales ou identiques) que ce à quoi elle est censée former.