L'ANALYSE DE PRATIQUES PROFESSIONNELLES
Différentes modalités
[1]

 

- Patrick ROBO -

octobre 2002

http://probo.free.fr/  -  patrick.robo@laposte.net

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Que répondre à la question : "Qu'est-ce que l'analyse des pratiques ?"

En examinant le n° 346/1996 des Cahiers pédagogiques qui fait référence en la matière et intitulé "Analysons nos pratiques professionnelles", nous y entrevoyons déjà une diversité de types, de modalités et d'appellations (plus ou moins contrôlées) d'analyses :

-       L'analyse en groupe ;

-       L'analyse didactique ;

-       L'analyse pédagogique ;

-       L'analyse de situations ;

-       L'analyse transactionnelle ;

-       L'auto-analyse de sa pratique ;

-       L'analyse par entretien individuel ;

-       L'analyse de l'action en situation directe ou vidéo-filmées ;

-       L'analyse à partir du récit qu'en fait un acteur oralement ou par écrit ;

-       Les Groupes d'Entraînement à l'Analyse de Situations Educatives (GEASE) initiés dans les années 1980 et "spécialité montpelliéraine" selon Claude VINCENS[2].

-       Les Groupes d'Approfondissement Professionnel créés dans les années 1975 par André de PERETTI ;

-       Les groupes Balint pour enseignants ;

-       Les jeux de rôle.

A cette première liste "à la Prévert" nous pouvons ajouter, avec possiblement encore des oublis, un certain nombre de dispositifs se réclamant également de l'analyse de pratiques  :

-       Les Groupes de Parole (GP) dont ceux mis en œuvre, par exemple, par Fernand OURY dans le cadre de la pédagogie institutionnelle (PI) ;

-       Les Groupes de Soutien au Soutien avec supervision psychanalytique, initiés par Jacques LEVINE[3] ;

-       Les Groupes de Formation à l'Analyse de Pratiques Professionnelles (GFAPP) tels que je les développe ;

-       Les Groupes d'Analyse de Pratiques Professionnelles (GAPP) développés selon la démarche des GFAPP par des formateurs s'étant formé et se formant dans ces derniers ;

-       Les Groupes d'Analyse de Pratiques Professionnelles (GAPP) développés par Jacques NIMIER[4]  ;

-       Les études de cas ;

-       La métacommunication avec les élèves (PERRENOUD, 1994) ;

-       Les Séminaires d'Analyses de Situations de Communication (SASCO) mis en œuvre par Eric AUZIOL ;

-       Les simulations ;

-       La vidéoformation ;

-       L'observation mutuelle ;

-       L'entretien en visite formative ;

-       L'instruction au sosie initiée par ODONNE pour les ouvriers de chez FIAT en 1970 ;

-       L'auto-confrontation (croisée) ;

-       L'entretien d'explicitation inspiré par VERMERSH (1994) ;

-       L'écriture clinique (PERRENOUD, 1996a, p. 200 ; CIFALI, 1998b, p. 293-313)

-       Les histoires de vie ;

-       L'expérimentation et l'expérience (PERRENOUD, 1996a, p. 204-205)

-       L'analyse du travail ou de l'activité dans la perspective tracée en particulier par Yves CLOT ;

-       etc.

En complément de ces énumérations certainement non exhaustives, il est à noter que suivant les approches sont convoquées diverses terminologies-typologies d'analyses, ainsi : l'analyse institutionnelle, l'analyse systémique, l'analyse organisationnelle, la psychanalyse, la socio-psychanalyse, la socio-analyse, l'analyse transactionnelle, l'analyse interactionnelle, l'analyse didactique, l'analyse clinique

Des différences sont notamment liées aux objectifs divers attribués à l'analyse de pratiques : objectifs d'élucidation, de connaissance, de remédiation, d'approfondissement, d'aide au changement personnel, de formation, de recherche, de transformation, d'intervention, voire objectif thérapeutique ou encore d'évaluation...

Ces différences peuvent également être liées au fait que l'analyse est davantage centrée sur le métier, ou sur la profession, la personne, un groupe, une situation, une (des) pratique(s), la tâche, une activité, une discipline, un système, une institution, une organisation, un problème, des comportements, les relations, la pédagogie


La diversité montre donc la complexité de ce concept d'analyse de pratiques ; d'aucuns diront le "compliqué de la chose". A y regarder de plus près, nous pouvons percevoir/repérer qu'une pratique peut être :

                          

traitée par son auteur/acteur                                   ou[5]                                        par un tiers extérieur

                            observée                                            ou                                              décrite, racontée

 

         de manière impliquée       ou      non-impliquée                                             par oral ou par écrit ou par image

                     l'objet d'un récit                                     ou                           l'objet d'un discours (développement)

            abordée en faits (ce qui est)                           ou                       abordée en phénomènes (ce qui est perçu)

                       traitée in vivo                                       ou                                                traitée in vitro

                    traitée hic et nunc                                   ou                                            traitée a posteriori

                perçue subjectivement                               ou                                          perçue objectivement

                 traitée consciemment                                ou                                       traitée inconsciemment

       analysée individuellement (auto)                       ou                                 analysée collectivement (socio)

 

                                                                                                                     avec des pairs  ou  des experts / ex-pairs

               gérée en micro-analyse                              ou                                       gérée en macro-analyse

                                                                                       etc.

 

 

Sans nous engager dans de la taxinomie, nous pouvons également distinguer deux grands ensembles / catégories d'analyses  :

-          l'analyse de l'action située ;

-          l'analyse de l'action sur récit,

et deux grands ensembles / catégories de modalités :

-          l'analyse individuelle (seul ou avec l'aide d'un autre acteur) ;

-          l'analyse groupale

 

Avec du temps, cet inventaire rapide mériterait ordonnancement et explicitations, identification de similitudes et de différences, repérage des valeurs et champs théoriques de référence, clarification des objectifs, présentation des modalités de mise en œuvre… Certains praticiens-chercheurs-auteurs[6] ont entrepris ce travail mais aucun encore, semble-t-il, de manière synthétique. Ce début de recherche ne prétendra pas à une synthèse mais plutôt à placer des jalons pour une quête de savoirs plus savants.

 

Pour tenter d'éclairer ce concept, et sans vouloir présenter une approche historique, je fournirai succinctement quelques repères complémentaires[7] liés à l'inscription dans le temps de l'analyse des pratiques traitée en groupes.

 

 

Il semble que cette démarche ait commencé avec les travaux de Enid et Michael BALINT dans les années 1950/1960 à Londres d'abord dans le cadre du Family Discussion Bureau avec des travailleurs sociaux puis à Tavistok clinic, sous forme de groupes de recherche-formation pour des omnipraticiens sous le contrôle d'analystes, avant d'aboutir à ce que l'on nomme les "groupes Balint" fonctionnant sur des études de cas (case work) librement commentés autour de trois axes : la relation médecin-malade, le contre-transfert du médecin envers le patient, le rôle du leader.

 

Quelques années plus tard (1973), J. LEVINE démarre ce qui deviendra les Groupes de Soutien au Soutien (GSAS) définis ainsi :

"Appareil groupal ayant valeur de lieu de ressourcement, de décentration et de contre-espace, permettant un changement de perception. C'est un lieu de parole où peuvent se dire les blessures narcissiques du praticien et de l'élève ; c'est un lieu de l'intelligibilité de ce qui alimente les conduites qui font problème ; c'est un lieu de recherche du modifiable sur le plan pédagogique et relationnel ; c'est un lieu où chacun peut opérer une conscientisation de son mode de fonctionnement professionnel." (LEVINE J., MOLL J., 2000, p. 29)

Ces groupes fonctionnent jusqu'à maintenant en présence d'un psychanalyste et suivant une méthode en quatre temps, à partir de l'exposé d'un participant volontaire.

 

A la même époque (1975) et  également dans le milieu de l'éducation, André De PERETTI s'inspirant de BALINT mais aussi de Carls ROGERS et recherchant une formule ne nécessitant pas la présence d'un expert, développe ce qu'il nomme des "groupes d'approfondissement professionnel" (GAP). Ceux-ci sont tournés vers la résolution de "problèmes professionnels" à partir de l'exposé d'un participant suivant un protocole en quatre temps.

 

Dans cette période des "Groupes et séminaires Balint-enseignants" ont vu le jour (par exemple : IUFM de Versailles, GRAPIEN[8], GRPI[9]…) s'inspirant bien entendu des principes du père fondateur dont celui, consistant à utiliser "la horde des frères plutôt que le père primitif" (BALINT, 1960, p. 327) tout en permettant à chacun d'avoir "le courage de sa propre bêtise". Nous pouvons penser ici en particulier aux travaux et écrits de Francis IMBERT (1992) initiateur de tels dispositifs.

 

Dans les années 1980/90, venant de l'Université de Toulouse Le Mirail[10], avec un détour par les CEMEA[11], apparaissent autour de Claude VINCENS, Alain LEROUGE et de leurs collègues[12], dans le département des Sciences de l'éducation de l'Université Paul Valéry de Montpellier, les Groupes d'Entraînement à l'Analyse de Situations Educatives (GEASE) dont l'objectif principal est, à partir de l'exposé d'un participant volontaire, de s'entraîner,

"au sens sportif ; on s'entraîne, c'est la place faite à l'essai, à l'erreur, au geste nouveau pour voir, au geste imité de l'autre, au geste décomposé. C'est se laisser entraîner, se faire entraîner, entraîner les autres." (Vincens, Fumat, Porte, 1992, p. 118),

 à comprendre la complexité d'une situation en tant que

"fraction temporelle de l'environnement passé d'un participant présentant à la fois des caractéristiques objectives et la façon dont il les a ressenties, la manière dont il s'est comporté et qu'il rapporte à des fins d'études par le groupe" (p 26-27) ;

Cette situation est qualifiée d'éducative,

"englobant aussi bien les situations pédagogiques, d'enseignement, d'apprentissage ou thérapeutiques." (p. 119).

Dans ces groupes, l'analyse est menée, sur le principe de l'approche multiréférentielle, autour de cinq champs : la personne, le groupe, l'institution, le didactique, la pédagogie (p 7-10) et suivant un parcours en cinq ou six phases suivant les "variantes" et/ou les formateurs-animateurs.

 

Dans les années 1990/95, J. NIMIER (1991) et une équipe de formateurs de l'I.U.F.M. de Reims ont mis en place des "groupes de suivi" en formation initiale puis des "Groupes d'analyse de pratiques professionnelles" en formation continue. D'autres IUFM (Grenoble, Lyon, Montpellier, Rennes, Strasbourg…) ont cheminé en même temps et parallèlement sur des voies analogues, mettant en œuvre pour certains des Séminaires d'Analyse de Pratiques (SAP), des Ateliers de Pratique Réflexive (APR), des Séminaires Cliniques d'Analyse des Pratiques Educatives (SCAPE), des  Séminaire d'Analyse des Pratiques d'Enseignement et d'Apprentissage (SAPEA)…

 

J'oserai ici, humblement, signaler l'émergence des Groupes d'Entraînement puis de Formation à l'Analyse de Pratiques Professionnelles (GEAPP devenus GFAPP) que j'ai initiés en 1995/96, dans le cadre  de l'Inspection académique de l'Hérault.

 

Pour clore hic et nunc cette approche chronologique j'ajouterai, de manière anecdotique (ou symptomatique), que le Ministère de l'Education Nationale, désireux de développer à grande échelle l'analyse des pratiques dans la formation de ses personnels a mis en œuvre, pour la première fois, deux séminaires importants à cet effet :

-          "L'analyse des pratiques professionnelles" organisé par la Direction des personnels administratifs, techniques et d'encadrement (DPATE) les 18 et 19 octobre 2001 à la Grande Motte. Objectif : sensibiliser les responsables et formateurs de ces personnels à l'utilité de l'analyse des pratiques à travers les GEASE.

-          "L'analyse des pratiques professionnelles et l'entrée dans le métier" organisé par la Direction de l'enseignement scolaire (DESCO) les 23 et 24 janvier 2002 à Paris[13]. Objectif : sensibiliser les responsables (de formation) académiques à l'importance et à la nécessité d'accompagner les enseignants débutants (mais aussi les autres) par cette démarche.

 

L'analyse de pratiques apparaît bien comme un concept polysémique, polymorphe et se déclinant en poly-pratiques. Une clarification s'avère donc nécessaire, clarification qui devrait être le souci premier de tout formateur désireux de mettre en œuvre une telle démarche.

 

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"Le concept commun d'analyse qui, selon le cas, connote plus ou moins la psychanalyse, me semble signifier bien plus qu'une opération de connaissance : une production de sens et une ouverture à agir."               Gilles FERRY "

 

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Eléments bibliographiques

 

CIFALI M., «Clinique et écriture : une influence de la psychanalyse dans les sciences de l''éducation», in HOFSTETTER R. et SCNEUWLY B., Le pari des sciences de l'éducation,  Raisons édiucatives n° 1-2, Bruxelles, De Boeck Université, 1998, b.

IMBERT F., «Groupe Balint et formation des pédagogues», Pratiques de formation (Analyse), Paris, Université Paris VIII, n° 23/1992.

Nimier J., Bonicel M.F., Gaillar d P., Ghesquière M., Mandrille A.. Une expérience de formation d'enseignants à l'analyse de la pratique dans le cadre de l'I.U.F.M. de Reims (Ronéo), Ed. I.U.F.M. de Reims, 1991

Perrenoud, P., La formation des enseignants entre théorie et pratique, Paris, L’Harmattan, 1994.

Perrenoud, Ph., «Le travail sur l'habitus dans la formation des enseignants. Analyse des pratiques et prise de conscience», in Paquay, L., Altet, M., Charlier, É. et Perrenoud, Ph. (dir.), Former des enseignants professionnels. Quelles stratégies ? Quelles compétences ?, Bruxelles, de Boeck, 1996a,  p. 181-208.

VERMERSCH P., L'entretien d'explicitation en formation initiale et en formation continue, Paris, ESF, 1994.

Vincens Cl., Fumat Y., Porte J., Analyser les Situations Éducatives, Montpellier : Publications de l’Université Paul Valéry, département des sciences de l’éducation, 1992.

 

 



[1] : A partir de mon mémoire de DESS : "L'analyse de pratiques professionnelles en groupe : un dispositif de formation accompagnante", Montpellier, Septembre 2002.

[2] : C. VINCENS, psychologue scolaire était chargé d'enseignement au département des Sciences de l'Education de l'université Paul Valéry de Montpellier.

[3] : J. LEVINE, fondateur de " Je est un autre", revue de l’Association des groupes de soutien au soutien (A.G.S.A.S.), 2, place du Général Koenig 75017 Paris, France.

[4] : Cf. son site Internet http://perso.wanadoo.fr/jacques.nimier/  - A noter que J. NIMIER parle indifféremment de pratiques professionnelles, de pratiques pédagogiques et de situations éducatives.

[5] : Le "ou" pouvant être également un "et/ou".

[6] : Les références bibliographiques citées dans ce document pourraient orienter vers un certain nombre de réponses à ce souci de clarification.

[7] : Il s'agit de dispositifs aisément identifiables par exemple par une recherche par "moteur" sur l'Internet.

[8] : Groupe de Recherche et d'Action Pédagogique des Inspecteurs de l'Education Nationale (Montpellier) – n'existe plus depuis 1996/97.

[9] : Groupement des Réseaux de Pédagogie Institutionnelle

[10] : En licence de Sciences de l'éducation

[11] : Centres d'Entraînement par les Méthodes d'Education Actives

[12] : Citons en particulier et par ordre alphabétique : Eric AUZIOL, Richard Etienne, Yveline FUMAT, Jean-Bernard PATURET, Michel TOZZI.

[13] : Les actes devraient paraître à la rentrée 2002.

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